Economie Circulaire

LES QUATRE DEFIS DE L'ECONOMIE CIRCULAIRE

Transition énergétique et économie circulaire

 

Il y a quelques siècles encore les agriculteurs et les forgerons utilisaient une énergie exclusivement renouvelable. Qu’il s’agisse de la force animale, du charbon de bois ou même du moulin à vent, ces énergies étaient largement disponibles et ne nécessitaient pas d’infrastructure exceptionnelle. L’homme utilisait alors tout au plus sept métaux pour servir des besoins aussi divers que l’armement, la construction ou la joaillerie : l’or ; l’argent ; le fer ; l’étain ; le cuivre ; le plomb … et le mercure.

La révolution industrielle a multiplié par mille les besoins en énergie de chaque individu ! La biomasse n’étant plus capable de suivre[1], l’homme s’est tourné vers la biomasse fossile et depuis lors il n’a jamais autant extrait de lignite, de charbon, de gaz ou de pétrole qu’en 2019. Cette consommation, ou plus exactement consumation, frénétique est interpellante et pose inévitablement la question des limites que ce soit par le biais d’une analyse des réserves restantes ou par le souci de limiter les émissions de CO2 dans l’atmosphère. La croissance ininterrompue de la démographie et l’accès d’un plus grand nombre à un meilleur confort matériel ne font que renforcer ce sentiment pressant d’un nécessaire changement de cap.

La grande chance de l’humanité est qu’il existe encore suffisamment de ressources fossiles pour se donner le temps d’analyser un possible avenir énergétique, qu’il soit centralisé ou décentralisé, qu’il repose sur une meilleure maîtrise du nucléaire, une meilleure connaissance des ressources de la géothermie ou une meilleure performance des technologies éoliennes et photovoltaïques. Pour beaucoup d’ingénieurs et d’énergéticiens il n’y a en tous cas pas lieu d’agir dans la précipitation sous la menace d’une urgence climatique ou d’un ukase anti-nucléaire.

Le moulin à vent de nos ancêtres a bien évolué et il est proche aujourd’hui d’un rendement optimal grâce à une conception plus aérodynamique et à l’utilisation de matériaux plus performants. La transformation de l’énergie en électricité et surtout les possibilités de stockage font qu’il est même envisageable d’utiliser cette énergie à tout moment et en tout lieu. Mais, ce progrès a un coût qui est celui de la mobilisation sans précédent d’une quantité et d’une diversité accrue de matières premières. Une éolienne de 3 MW nécessite typiquement 840 tonnes de béton, 300 tonnes d’acier, 5 tonnes de cuivre ou encore 400 kg de néodyme sans compter l’électronique de contrôle qui mobilise à elle seule la plupart des éléments du tableau périodique. Mais, c’est surtout le stockage énergétique, en particulier les batteries, qui va nécessiter d’énormes quantités de métaux pour assurer la transition énergétique tant espérée. On estime par exemple que l’objectif de 30% d’énergie renouvelable associé à une croissance similaire de la part des véhicules électriques induit une augmentation de 400% des besoins en cobalt à l’horizon 2030 sans parler du lithium, du nickel, du cuivre ou encore du graphite… Il n’y aura donc pas de transition énergétique sans une exploration plus approfondie de notre sous-sol et sans une exploitation plus intensive de ses richesses! Si un tel extractivisme annoncé peut en effrayer plus d’un, il n’empêche que c’est une excellente nouvelle pour les futures générations de géologues et de géo-ingénieurs[2]. Cela pourrait également être une excellente nouvelle pour le développement durable si, et seulement si (!), ces métaux alimentent une société insatiable mais soucieuse d’une économie plus circulaire.

L’économie circulaire des métaux est un paradigme intéressant pour réfléchir le développement durable. Mais ce n’est qu’un paradigme et pour qu’il devienne réalité il est indispensable de s’atteler à quatre défis majeurs en mettant en place les technologies, les normes et les règles économiques indispensables.


Défi numéro 1 : Alimenter la boucle (FEED THE LOOP)


La croissance des besoins démontre à l’évidence qu’il faudra encore exploiter beaucoup de ressources minérales et métalliques pour alimenter la boucle. Nous utilisons aujourd’hui en abondance des métaux qui hier encore ne trouvaient aucune utilité : le germanium indispensable à nos fibres optiques, l’indium de nos écrans tactiles ou encore le lithium de nos batteries n’en sont que quelques exemples.

Le recyclage peut bien entendu contribuer à alléger la facture extractive, mais il faut avant tout tenir compte de la résilience des métaux dans le cycle anthropique. On estime, par exemple, que la durée de vie moyenne du cuivre est de l’ordre de 40 ans. Ainsi, même si nous étions capables de le collecter parfaitement et de le recycler sans rien en perdre[3], nous aurions au mieux à notre disposition l’équivalent de la production minière d’il y a quarante ans soit exactement la moitié des besoins d’aujourd’hui!

Evolution de la consommation mondiale de cuivre depuis 1900 selon les données du USGS.
La consommation de cuivre a doublé sur les 40 dernières années

Défi numéro 2 : Optimiser le stockage des métaux (BUILD THE LOOP)


Le progrès technique a été le moteur de l’humanité depuis la nuit des temps, c’est lui qui a permis de s’affranchir des tâches les plus asservissantes, de décupler la force de travail et … de gagner des guerres. L’idée même de progrès technique est étroitement liée au perfectionnement de nos outils dans le sens d’une plus grande efficacité fonctionnelle ou d’une moindre consommation énergétique. Le cas de l’automobile est emblématique à cet égard, mais d’autres technologies comme l’éclairage nous démontrent mieux encore qu’il reste du chemin à parcourir. Pris sous l’angle de la seule efficience énergétique, le remplacement de nos ampoules à incandescence par des diodes est indiscutable puisqu’il permet une réduction de la consommation de 90% ! En revanche, la mobilisation des ressources métalliques et leur assemblage microélectronique complexe interpelle sur la disponibilité de ces mêmes ressources pour les générations futures.

Construire la boucle de l’économie circulaire nous impose désormais de concevoir nos produits comme des stocks de matériaux à la disposition des générations futures. Ils sont la mine urbaine de demain et, en tant que tels, ils se doivent d’être plus facile à exploiter que les minerais dits primaires. Cela n’est envisageable qu’à la condition expresse que ces produits soient facilement démantelables et recyclables. Nous devons désormais les penser en veillant au design for dismantling  / design for recycling afin d’optimiser l’ensemble de la boucle de production.

L’évolution technologique de l’éclairage sur les dernières décennies est incontestable sous l’angle de la fonctionnalité, mais contestable sous l’angle des ressources métalliques nécessaires et de la non-recyclabilité des produits.

Défi numéro 3 : Prolonger la durée d’utilisation (SLOW DOWN THE LOOP)


La mise en place d’une économie plus circulaire n’est pas qu’une affaire d’ingénieurs ou de géologues. Elle ne sera vraiment pertinente que si nous ralentissons la boucle de consommation. N’en déplaise au baron Bic, l’idée même de jeter un stylo bille après utilisation est totalement incongrue. Nous devons retrouver un rapport à l’objet qui nous incite à le préserver, le réparer et le réutiliser autant que faire se peut. Les économies les plus pauvres offrent à cet égard de nombreuses leçons exemplaires. Le zéro déchet n’y est pas un slogan mais une réalité.

Dans cette perspective, il est clair que de nouveaux modèles économiques doivent être soutenus qu’ils s’inspirent de l’économie de la fonctionnalité ou qu’ils incitent les fabricants à accorder des garanties prolongées sur leur produit. On devra légitimement s’inquiéter du frein à l’innovation technologique que cela pourrait induire mais il doit sûrement exister une voie raisonnable entre stagnation et progrès futile. Il faudra toutefois compter sur une révolution copernicienne de la culture du consumérisme et du marketing à outrance.


Défi numéro 4 : Améliorer nos capacités de recyclage (CLOSE THE LOOP)


Même si tout doit être fait pour retarder cette échéance[4], il arrive un moment où un produit est légitimement en fin de vie et où, ayant perdu toute fonctionnalité, sa valeur résiduelle est celle des matériaux qui le forment. C’est ici qu’intervient le recyclage, c’est-à-dire l’opération technique qui consiste à séparer et préparer ces matériaux pour un nouveau cycle. Une analogie très parlante du recyclage est le jeu en pâte à modeler. Si nous n’y prenons garde nos matériaux se mélangent en une boule de couleur infâme et il n’y a plus d’avenir. Si nous sommes méticuleux il est possible de séparer les couleurs de base et de redonner vie à de nouveaux produits. Encore faut-il que les matériaux recyclés trouvent acheteur et que ceux-ci soient prêts à mettre un prix qui couvre le coût du recyclage. La réalité d’aujourd’hui est que tout cela n’est possible que grâce à une subsidiation soutenue car il existe encore trop de méfiance vis-à-vis de la performance des matières premières recyclées ou que le prix des métaux d’origine primaire est bien trop faible !

L’innovation, en particulier le tri intelligent faisant appel aux techniques de robotique et d’intelligence artificielle[5], offre des perspectives intéressantes pour améliorer les performances du recyclage, mais il est bon de toujours garder à l’esprit que le plus performant des procédés de recyclage dépasse rarement les 95%. Autrement dit, après 15 cycles, il pourrait ne plus rester que la moitié de la ressource initiale le reste étant dissipé dans des déchets ultimes!


Eric PIRARD, le 3 Juillet 2019



[1] Johann-Karl von Carlowitz, directeur de l’administration des mines d’argent de Freiberg s’inquiétait déjà dans Sylvicultura Economica (1713) du taux de déforestation trop rapide.

[2] L’ULiège délivre un diplôme de master en sciences géologiques et un diplôme de master en sciences de l’ingénieur(or. génie géologique). Elle organise sous l’égide de la Raw Materials Academy, le Europen Master in Resources Engineering (EMerald).

[3] Ce qui est impossible selon les lois de la thermodynamique

[4] En pratique, il convient de bannir toute forme d’usage unique qu’il s’agisse de plastique, d’aluminium ou même de papier.

[5] L’ULiège a développé un prototype de robot de tri (Pick It) prêt à être déployé à l’échelle industrielle